Social
Abandon de poste
Le Conseil d’État valide la présomption de démission en cas d’abandon de poste, mais impose une garantie supplémentaire
Le 18 décembre 2024, le Conseil d’État s’est prononcé sur le décret d’application de la présomption de démission en cas d’abandon de poste, après avoir été saisi d’une demande d’annulation par, entre autres, plusieurs syndicats. Si le juge administratif valide le décret, il impose une exigence nouvelle non prévue par le texte, visant à garantir l’information du salarié sur les conséquences de son absence de reprise du travail sans motif légitime.
Le décret du 17 avril 2023 mettant en œuvre la présomption de démission est validé
Depuis le 19 avril 2023, les employeurs peuvent utiliser une procédure de présomption de démission lorsqu'un salarié en contrat à durée indéterminée (CDI) abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail, après mise en demeure de l’employeur (c. trav. art. L. 1237-1-1 et R. 1237-13).
Ce dispositif est entré en vigueur à la suite de la parution du décret du 17 avril 2023, qui a précisé les modalités d’application du dispositif créé par la loi Marché du travail du 21 décembre 2022 (décret 2023-275 du 17 avril 2023, JO du 18 ; voir notre actu du 18/04/2023, « Présomption de démission en cas d'abandon de poste, le décret est paru »).
Le jour même de la parution du décret, ce dispositif a fait l’objet d’un questions/réponses du ministère du Travail (« FAQ »), qui a suscité certains émois (voir notre actu du 19/04/2023, « Présomption de démission : un « questions/réponses » du ministère du Travail qui interroge »).
Rapidement, le décret du 17 avril 2023 ainsi que la « FAQ » ont été attaqués devant le Conseil d’État, par plusieurs syndicats notamment qui demandaient leur annulation.
Le 18 décembre 2024, le Conseil d’État a rendu sa décision. Après avoir examiné les garanties de procédure fixées par le décret (voir ci-après), il rejette la demande d’annulation du décret (sur le questions/réponses : voir notre encadré en fin d’article).
Cependant, si le décret du 17 avril 2023 est validé, le Conseil d’État ajoute à la procédure de présomption de démission que doit respecter l’employeur une exigence non prévue par le texte.
Le Conseil d’État impose une mention nouvelle, dans la mise en demeure, sur l’information du salarié
La procédure de présomption de démission en cas d’abandon de poste fixée par le décret du 17 avril 2023 prévoit plusieurs garanties.
❶ L’employeur doit adresser au salarié qui a abandonné son poste une mise en demeure, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai qu’il détermine (sur le délai voir ci-après) (c. trav. art. R. 1237-13, al. 1).
Selon le Conseil d’État, cette mise en demeure « a pour objet de s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste du salarié, en lui permettant de justifier son absence ou de reprendre le travail dans le délai fixé par l’employeur ».
Or, le Conseil d’État considère que, « pour que la démission du salarié puisse être présumée […], ce dernier doit nécessairement être informé, lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail sauf motif légitime justifiant son absence ».
Il ajoute donc une exigence supplémentaire à respecter par l’employeur qui entend faire jouer la présomption de démission.
Celui-ci devra donc désormais mentionner dans la mise en demeure qu’il adresse au salarié le fait, qu’à défaut de reprise du travail dans le délai imparti ou de motifs légitimes, il sera considéré comme ayant démissionné de son poste.
À défaut de comporter cette mention, la démission du salarié ne pourra pas être présumée.
Selon le juge administratif, il s’agit de transposer aux salariés du privé une exigence prévue dans la procédure d’abandon de poste applicable à la fonction publique (communiqué de presse joint à l’arrêt). Il ajoute que la seule circonstance que le décret du 17 avril 2023 ne comporte pas cette exigence ne le rend pas pour autant illégal.
Remarque : comme l'a soulevé le rapporteur public, « le nouvel article R. 1237-13 du code du travail créé par le décret attaqué ne le prévoit pas explicitement mais cette précision découle [...] nécessairement de l’économie générale du mécanisme de présomption de démission. Il y aurait en effet peu de sens à prévoir l’envoi d’une mise en demeure qui ne préciserait pas à son destinataire ce qu’il encourt s’il ne justifie pas son absence ou refuse de reprendre le travail dans le délai imparti par celle-ci ». Celui-ci préconisait au Conseil d'État de préciser cette obligation d'information du salarié dans sa décision « pour éviter toute ambiguïté sur le contenu de la mise en demeure en question et la naissance de contentieux artificiels sur ce point devant le juge judiciaire » (conclusions, point 3.7).
❷ Le délai imparti au salarié pour justifier son absence et reprendre son poste, fixé par l’employeur dans la mise en demeure, doit être d’au moins 15 jours, ce délai démarrant à compter de la date de présentation de la mise en demeure (c. trav. art. R. 1237-13, al. 3).
Le Conseil d’État valide ces dispositions, et en particulier le fait que le délai minimum de 15 jours court à partir de la date de présentation de la mise en demeure, et non à compter de sa réception.
Pour le juge administratif, « le décret fixe pour ce délai minimum une durée et un point de départ clairs, qui ne sont ni contraires à la loi ni manifestement erronés » (communiqué de presse joint à l’arrêt).
Que dit le Conseil d’État sur le questions/réponses du ministère du Travail ? |
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• Un questions-réponses contesté, qui a fini par être dépublié : Pour mémoire, la « FAQ » publiée le 18 avril 2023 par le ministère du Travail avait fortement interpellé les juristes et les praticiens, puisque dans sa question/réponse n° 1, elle indiquait que « si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ». Le ministère du Travail excluait donc la possibilité de passer par un licenciement pour faute pour se séparer du salarié en raison de son abandon de poste ; selon lui, il fallait faire jouer la présomption de démission. Cependant, compte tenu des interrogations soulevées par cette « FAQ » et également portées dans le cadre des recours auprès du Conseil d’État, le ministère du Travail avait dépublié, en juin 2023, l’ensemble des questions/réponses de son site internet. • Le Conseil d’État ne s’est pas prononcé : Dans sa décision du 18 décembre 2024, le Conseil d’État estime qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la légalité de la « FAQ » litigieuse puisque celle-ci a été retirée. Il rejette donc la demande d’annulation de la « FAQ », ainsi que la demande tendant à ce qu’il soit enjoint au ministère du Travail de la remplacer par une nouvelle « FAQ ». Relevons qu’aujourd’hui, la présomption de démission pour abandon de poste est signalée sur le site internet du ministère du Travail dans une « FAQ » plus générale sur la démission, au travers d’une seule question/réponse : « L'absence injustifiée du salarié est-elle une démission ? ». Le ministère du Travail indique que : « En cas d’absence de l’entreprise sans motif légitime (par exemple, un arrêt de travail), ou d’absence de reprise du travail après un arrêt de travail, il n’est pas possible pour l’employeur de considérer le salarié comme immédiatement démissionnaire. Dans cette hypothèse, l’employeur peut engager la procédure de présomption de démission pour abandon de poste volontaire, en suivant les règles posées par l’article R. 1237-13 du Code du travail » (https://travail-emploi.gouv.fr/la-demission#anchor-navigation-101). |
CE 18 décembre 2024, n° 473640 et s. ; https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2024-12-18/473640